2/11/2010

Pour un système socialisé du crédit, par Frederic Lordon

La sécurité des encaisses monétaires est un bien public vital (qu’on ne confie pas à des intérêts privés)

On fera remarquer que cet argument inscrit la nationalisation dans la particularité d’une situation conjoncturelle, par nature transitoire, et qu’il ne saurait lui donner les justifications d’une disposition permanente. Or ces justifications existent, elles sont fournies comme jamais par la crise financière elle-même. Contre la puissance des effets d’amnésie il faut en effet se souvenir de ces semaines de septembre-octobre 2008 au cours desquelles la possibilité de l’effondrement total des institutions bancaires et financières des principaux capitalismes est restée comme suspendue. Qu’un hebdomadaire aussi peu suspect de complaisances altermondialistes que The Economist titre à sa une « Le monde au bord du gouffre » devrait en dire assez long sur l’état de péril extrême où les dérèglements de la finance ont porté les sociétés. « Les sociétés » en effet et pas seulement « les économies » car la matérialisation d’un risque systémique géant signifie l’évaporation instantanée de tous les avoirs et encaisses monétaires… pour tout le monde. C’est l’événement maximal en économie et, précisément parce qu’il est maximal, il cesse ipso facto d’être exclusivement économique puisque il a pour effet de plonger toute la société dans un chaos violent au moment où la totalité des agents, entreprises mais surtout ménages, se retrouvent privés absolument des moyens de faire face aux exigences élémentaires de leur survie matérielle dans une économie monétaire à travail divisé. C’est une situation tellement exceptionnelle qu’aucun effort d’imagination n’est suffisant pour se la figurer adéquatement et pour se représenter l’état de destruction sociale qui en résulterait. À défaut, au moins a-t-elle la vertu de faire mieux voir ce que la routine des temps ordinaires rejette dans un parfait oubli, à savoir que la sûreté des encaisses n’est pas à proprement parler une donnée de nature économique : elle est un pré-requis à toute activité économique possible ; en termes savants (ou pédants) on pourrait dire qu’elle est le transcendantal de l’économie, c’est-à-dire sa condition de possibilité même.

Si donc on prend au sérieux que les dépôts, les épargnes et des possibilités minimales de crédit doivent être considérés comme des biens publics vitaux pour la société marchande, il s’en déduit qu’on n’en remet pas la garde à des intérêts privés, à plus forte raison quand ils sont aussi mal éclairés que des banques profondément engagées dans les activités de marchés financiers et sans cesse exposées à leurs tendances déséquilibrantes. Par une association d’idées bien fondée, on peut difficilement s’empêcher de songer à cet autre bien public vital pour la société qu’est la sûreté nucléaire et de ce qu’il pourrait en résulter qu’ils aient été « confiés » à des actionnaires privés, dirigés par l’unique critère de la rentabilité des capitaux propres. Et quand bien même l’évocation du risque qui découle de cette extraordinaire décision n’appelle qu’un simple conditionnel – « ce qui pourrait résulter » – c’est encore beaucoup trop quand il est question d’une question aussi grave.



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